Henri Leconte: "Ce Roland-Garros va être très ouvert"

"Riton" a troqué la raquette pour le club de golf il y a quelques années déjà. Joueur assidu, il croise désormais Guy Forget et d’autres de ses amis de route à travers les greens.
Mais l’ancien numéro 5 mondial du circuit ATP a beau organiser des compétitions autour de la petite balle blanche entre Annecy, Strasbourg ou encore le Luxembourg, il n’a jamais perdu la sphère jaune des yeux.
De passage sur la croisette pour une séance de dédicaces de son ouvrage "Balles neuves", Henri Leconte en a profité pour parler tennis, Roland-Garros et même padel pendant une grosse trentaine de minutes.
La génération de tennismen français, emmenée par Arthur Fils et Giovanni Mpetshi Perricard, émerge peu à peu sur le circuit mondial, c’est une suite logique de leur travail sur et en dehors des courts?
C’est une belle génération. Arthur Fils a pris une très bonne décision en s’entourant de personnes compétentes qui le poussent à s’améliorer (ses parents gèrent une grande partie de sa carrière, avec son coach Ivan Cinkus, ainsi que son agent Philippe Weiss, ndlr). De par cette décision, il a pris des risques, mais il faut en prendre pour accéder au très haut niveau. Il enchaîne les quarts de finale en Masters 100, c’est une belle dynamique. En ce moment, c’est plus compliqué pour Mpetshi Perricard. C’était une météorite lorsqu’il est arrivé sur le circuit. Maintenant, il est plus connu de ses adversaires et perd un peu confiance. Il doit s’adapter. Mais Emmanuel Planque (son coach, ndlr) est quelqu’un de formidable. Il a réussi à amener Lucas Pouille au plus haut niveau.
Il y a un futur vainqueur de Roland-Garros dans ce lot de Français?
Il faut les laisser travailler. Et arrêter de leur mettre la pression en disant "ils vont gagner ci, ils vont gagner ça." Non, ils sont en train de se préparer pour être les meilleurs possible dans un Grand Chelem. En gagner un ou même aller en deuxième semaine, c’est aussi passer par un bon tirage, arriver en pleine forme au bon moment, etc. Rien n’est facile.
Le microcosme du tennis, médias y compris, en attend trop de leur part?
Ça a toujours été ainsi. On pense que tout de suite, on va avoir le meilleur joueur du monde. C’est pour ça qu’il faut calmer le jeu.
Peut-être qu’il y a aussi un problème d’adaptation au circuit ATP?
On est très forts en juniors, à votre avis, pourquoi? Parce que les grands noms sont déjà dans le grand bain avec les requins, alors nos Français sont performants en juniors, à l’image de Moïse Kouamé. Mais nous n’avons pas été assez élitistes dans le passage au circuit pro. On a voulu faire du volume, et ça a été une erreur considérable. Aujourd’hui, on en paye le prix.
Le premier tour de Roland-Garros, c’est dans une semaine. Il y a un Français que vous voyez performer?
Je ne vois rien! Je pense que l’on aura des têtes de séries françaises, mais après, ils vont devoir gérer la pression du public. Je vois simplement que nos Français sont présents et travaillent. On veut tous que l’un d’eux remporte Roland-Garros, moi le premier, mais pour gagner un grand Chelem, il faut d’abord gagner un Masters, bousculer les meilleurs. Arthur Fils l’a fait, à Monte-Carlo notamment. Laissons-les travailler.
Plus globalement, vous dégagez un favori?
Ça va être une édition très intéressante. La terre battue n’est pas la surface de prédilection de Sinner, qui revient de suspension. Alcaraz a vraiment quelque chose à jouer, c’est une évidence. Mais Zverev a le potentiel pour enfin gagner un Grand Chelem. Il y en a un qui va être très dangereux, c’est Ruud, qui attaque pas mal. Rune également, c’est vraiment très ouvert. Et puis chez les femmes, Sabalenka est en train de creuser l’écart…
Les juges de ligne ont disparu du circuit ATP mais seront bien présents sur ce Roland…
Je suis de l’ancienne école. L’IA ne peut pas tout faire. Sur terre battue le point dépend de la façon dont tombe la balle, il y a la marque. Je trouve ça très bien qu’ils restent pour Roland-Garros. Après, je comprends que le tennis doit s’adapter à son époque. Le système électronique permet aussi de rendre le tennis plus attractif, de l’accélérer et d’attirer plus. Parce qu’il ne va pas si bien que ça.
Le tennis est en danger, comme le dit Djokovic?
Oui. Le padel est beaucoup plus ludique. Mais je suis de ceux qui pensent qu’il va sauver le tennis. Les gens vont jouer au padel dans les clubs de tennis. Les enfants vont découvrir le padel, puis le tennis. C’est une continuité.
Y a-t-il un manque de modèles sur le circuit ATP?
Bien sûr qu’il y a un manque de leaders! Et c’est pour cela que l’on a besoin de jeunes qui gagnent, ici en France. Plus généralement, à force d’avoir des joueurs avec des caractères énormes sur le circuit, l’ATP a verrouillé et mis des codes de conduite. Donc ça a été un peu lisse, même si sportivement, on a eu une période exceptionnelle avec Nadal, Federer et Djokovic. On ne revivra plus jamais ces années d’exception. Mais maintenant, tout le monde a peur de dire certaines choses, les joueurs communiquent sur les réseaux, c’est totalement différent et cela dénature notre sport. Et l’on a délaissé, à tort, le tennis féminin, alors qu’elles ont plus gagné de Grands Chelems que les hommes!
Vous disiez récemment que le jeu devenait trop lent, quel est votre raisonnement?
Oui, les Grands Chelems ont demandé que la vitesse soit la même partout. Ils ont ralenti le jeu! Forcément, tout le monde joue fond de court. Avant, chacun avait sa façon de jouer, mais maintenant on crie au génie quand quelqu’un fait une amortie. On croit rêver. Le tennis devient trop lent…
Du coup, quel joueur vous ressemblerait le plus actuellement?
Plus grand monde ne joue comme moi, Sampras et McEnroe. Le service-volée, ça n’existe plus trop. Il y a peut-être Jack Draper, gaucher comme moi et qui a le potentiel pour aller encore plus vers l’avant. Tout le monde se tient tellement loin derrière la ligne que c’est un boulevard pour aller au filet.
Cette année, ce sont les 40 ans de votre 8e de finale remporté face à Yannick Noah (1985), avant trois demi-finales (1986, 1988 et 1992) et une finale (1988) sur ces Internationaux de France...
Un bonheur total. J’ai dépassé le maître, j’ai tué le père dans son jardin et ça m’a permis de passer dans une autre dimension ensuite. J’ai une pensée pour mon ancien entraîneur, Patrice Dominguez. C’est avec lui que je bats Noah. Et puis jouer devant ce public qui m’a tant aimé, et incompris parfois, c’est une fierté. J’ai toujours eu une relation d’amour avec lui.
Nice Matin